«La notion d’équipe est masculine. Les femmes aussi doivent se grouper.» (Céline Sciamma, dans une interview récente, à l’occasion du festival de Cannes). Cette affirmation m’a interloquée mais elle donne matière à penser… Est-ce vrai ? Et si c’était vrai, que faudrait-il en tirer comme conclusions et comme actions ? Voici quelques réflexions, soulevées et nourries par ma pratique régulière de l’accompagnement d’équipes et de groupes, en entreprise.

Quelques rappels sur la différence entre groupe et équipe

Il s’agit de deux formes organisationnelles bien distinctes, même si elles poursuivent le même but : organiser une action collective en vue d’atteindre un résultat que l’on ne peut atteindre seul-e (qu’il s’agisse d’une production ou simplement d’un dé-bat, ou encore d’un partage de centres d’intérêt). Elles sont donc toutes deux consubstantielles à l’aventure humaine et à «l’humanité».

Mais le groupe est avant tout une structure horizontale, basée sur le principe de parité entre ses membres. De ce fait, il fonctionne moins sur le registre de l’autorité que sur celui de l’influence… Cénacle de «Soft power», dirait-on aujourd’hui.

Alors que l’équipe, elle, constitue un collectif bien particulier : pérenne, elle contient en son sein des rôles différenciés, dont un particulier, dédié à l’impulsion, l’arbitrage et l’autorité, qui est confié à l’un des membres : son chef.

De plus, l’équipe est une entité théorique avant d’être un collectif humain : elle est composée structurellement d’un certain nombre de rôles, qui, préexistant, peuvent être détaillés sans se référer aux personnes qui les occupent. On peut dessiner l’organigramme d’une équipe mais non celui d’un groupe pour lequel il est loisible, à la rigueur, d’établir un sociogramme. Par exemples : dans une équipe de football, il y a onze postes et l’on recrute des joueurs (ou joueuses) pour les tenir ; dans un COMEX sont représentées plusieurs directions de l’entreprise, qui se trouvent incarnées par autant de personnes.

Equipe/Groupe : quels avantages respectifs pour les entreprises ?

À chaque fois qu’il s’agit d’organiser une action collective, il est intéressant de se demander laquelle de ces formes sera la plus adaptée. C’est donc une question centrale pour les organisations de toutes tailles.

Considérons d’abord les avantages du groupe : il favorise l’écoute et l’expression personnelle, stimule la créativité et facilite l’appropriation d’orientations partagées. Notons aussi son inconvénient majeur : la lenteur dans la définition des positions et des prises de décision.

Examinons maintenant les principaux avantages de l’équipe : en donnant au chef la capacité de trancher, l’équipe accélère la prise de décision et le passage à l’action, sur le mode exécution. Son inconvénient potentiel réside dans le fait qu’elle peut brider la créativité, limiter la motivation et mettre les équipiers en position passive ou conflictuelle.

Quelles sont les principales attitudes induites par ces deux formes ?

Le groupe suppose fondamentalement de :

  • Accorder une place et une valeur à chacun de ses membres,
  • Admettre voire valoriser les différences,
  • Concéder que du temps est nécessaire pour s’organiser en vue de servir au mieux la cause qui réunit,
  • Favorise donc des postures patientes, humbles, ouvertes et engagées à la fois. (Il peut aussi autoriser une forme de retrait).

La structuration à la fois verticale et horizontale de l’équipe produit souvent, quant à elle, à plusieurs mécanismes :

  • Supposant une allégeance au chef, elle active la dialectique soumission/rébellion chez les équipiers,
  • Si l’énergie et la combativité ne sont pas canalisées vers l’extérieur, elle peut aussi susciter des postures agressives,
  • C’est peut-être la raison pour laquelle, de façon plus ou moins fréquente, elle tend aussi à donner lieu à des rivalités et des jeux d’acteurs, tentatives pour accéder à LA position supérieure, à la suite ou à la place de celui qui l’occupe. (Et ici, on peut risquer le parallèle avec le processus inconscient de rivalité dans la fratrie pour y prendre la place symbolique du Père…).

Des formes organisationnelles sexuées ou «genrées» ?

De par la répartition des taches entre femmes et hommes qui prévaut traditionnelle-ment dans notre société, les hommes ont une longue pratique de l’équipe dans les con-textes professionnel, guerrier ou sportif. (Soulignons la grande nouveauté de la valorisation du football féminin, avec des matches diffusés sur une chaîne de grande écoute en «prime-time» à l’occasion de sa Coupe du monde). Ils ont peut-être développé de ce fait une habitude de rapports de pouvoir, de force, de rivalité et de conflictualité, qui caractériserait l’attitude masculine (dans les équipes). Et aussi, il faut bien le reconnaître, de certaines femmes qui, pour accéder au pouvoir, ont dû développer les mêmes codes et pratiquer cet art de la course vers la«place».

Hormis ces quelques cas récents de femmes ayant «réussi aussi bien que des hommes», comme on dit, les femmes ont été jusqu’au début du 20ème siècle, en Occident, cantonnées dans la sphère domestique (le foyer, les enfants, la maison, le jardin, les champs…). Elle n’ont donc pas/peu eu cette expérience de l’équipe et, quand elles ont pratiqué l’action collective, ce qu’elles n’ont pas manqué de faire de tous temps dans des perspectives de soutien et d’entraide, c’était au sein de structures moins formelles, plus horizontales et plus souples: les groupes. Est-ce pour cette raison que les femmes sont censées être (plus que les hommes?) capables d’appartenance à une communauté, selon une modalité plus collégiale et coopérative, et moins axée sur la confrontation et la notion de pouvoir ?

Ces supposées grandes tendances peuvent évidemment être invalidées par de nombreux cas d’individus démontrant d’autres aptitudes et tranchant avec les postures énoncées ici, et c’est heureux. Pour autant, les cas qui les confirment sont légion.Ces écarts entre représentations collectives et réalités individuelles soulignent finale-ment la différence entre le sexe et le genre, et mettent en lumière une zone de liberté ou d’aliénation pour chacun.

Quelques perspectives pour la société et les organisations

Quoi qu’on pense du concept de genre, il me semble intéressant de considérer au moins deux niveaux d’évolution positives pour la communauté humaine, l’action collective et la pérennité des organisations.Au niveau individuel, il est sans doute salutaire pour chacun de ne pas se laisser enfermer dans les stéréotypes du genre (qui supposeraient les hommes combatifs ou agressifs, alors que les femmes seraient naturellement patientes, douces et coopératives), et d’exprimer ses préférences personnelles singulières. En effet, chacun d’entre nous est plus ou moins porteur de ces différentes polarités de comportement et plus ou moins encouragé par son environnement à les déployer.

Au niveau institutionnel, les entreprises ont, à n’en pas douter, besoin d’équipes notamment pour faire fonctionner l’en-semble des processus récurrents pour lesquels elles recherchent stabilité et efficience.

Mais pour relever les défis considérables qui se présentent à elles à notre époque, elles ont intérêt à :

  • Promouvoir concomitamment des fonctionnements en groupes afin de favoriser le développement des attitudes coopératives et créatives dont elles ont également un besoin criant,
  • Tout en renforçant l’agilité liée au fait de devoir passer régulièrement de l’une à l’autre, qui devient décisive dans un monde VUCA*.
  • Sans oublier que la parité est une exigence de la modernité et, pour cela, une attente des Millénials !

Il se trouve que c’est une des vertus majeures du coaching, qu’il soit individuel ou d’équipe, que de permettre aux personnes de prendre conscience de l’importance de ces différents types de fonctionnement, de leur complémentarité et de leurs contributions respectives à la performance de tout collectif, à la faveur de leur efficience propre.

* VUCA : acronyme anglophone (pour : Volatile/Uncertain/Complex/Ambiguous) qui permettrait de caractériser le monde actuel.