En ce printemps 2025, nous nous trouvons embarqués dans une séquence historique où ceux qui l’emportent semblent être les plus violents, les plus menteurs, les plus vulgaires, les plus incultes, et les plus manipulateurs. Dans ce contexte, qui peut mettre à l’épreuve la foi dans le genre humain qui est à l’origine de la vocation de bien des coachs, j’ai été d’autant plus réjouie, ces derniers jours, de constater que certains clients continuent à se poser des questions éthiques ; ces questions qui font la grandeur d’une société… et signent celle des personnes qui s’y adonnent.
Les principaux enjeux éthiques des dirigeants
Les dirigeants et managers que nous accompagnons, en coaching individuel ou en coaching d’équipe, sont très fréquemment confrontés à des prises de décision qui impliquent un questionnement éthique. Voici quelques-uns des domaines évoqués avec eux :
- Éthique managériale (Comment formuler le bon niveau d’exigence vis-à-vis des équipes ? Comment arbitrer des conflits de façon équitable et impartiale ? Comment contenir ses émotions négatives et sa mauvaise humeur dans des situations de forte pression ? …)
- Éthique personnelle (À quoi suis-je prêt pour être promu ? À quel type de compromis puis-je consentir pour intégrer l’équipe que je viens de rejoindre ? …)
- Éthique des affaires (Quelles sont les limites aux conditions que je crée pour faire aboutir un « deal » et obtenir un marché ? Puis-je continuer à fabriquer un produit rentable mais dont les effets sur la santé sont notoirement néfastes ?…)
- Redevabilité et responsabilité différées (Comment est-ce que j’envisage ma responsabilité à long terme quant à des prises de décisions focalisées sur le court terme ?).
Les prérequis pour aborder ces sujets en coaching
Il me semble que le coach doit réunir trois conditions préalables pour s’y engager :
- En avoir envie : avoir de l’intérêt pour ce type de problématique à titre personnel, y accorder de l’importance,
- S’en sentir capable : avoir l’habitude du traitement de ce type de problématique, ce qui produit une sorte d’agilité intellectuelle et posturale,
- Se sentir suffisamment outillé, sur le plan des concepts, des idées, mais aussi des techniques.
Si votre réponse est positive sur ces trois points, vous pouvez vous engager sur ce type de problématiques – et sans doute l’avez-vous déjà fait.
Mais si vous butez sur les deux derniers, vous auriez probablement avantage à vous renforcer avant de vous y investir. La supervision me semble être le meilleur espace pour mener ce travail d’étayage, très simplement : en explorant ses propres dilemmes.
Soutenir la valeur ajoutée des interventions du coach
Les dilemmes éthiques vécus par les dirigeants sont parfois explicites, mais souvent sous-jacents (non-perçus, voire évités ou déniés, non exprimés, parfois recouverts, …) ; il appartient dès lors au coach d’en favoriser la conscientisation, la problématisation, puis l’expression par le coaché.
Cela suppose que le coach ait musclé au préalable sa capacité à les détecter, à les comprendre, à les explorer et à déployer des stratégies d’accompagnement permettant aux clients de les dépasser, voire de les dissoudre.
En effet, sur ce type de questionnement tout particulièrement, les coachés ont besoin de compréhension, de soutien, mais aussi et surtout de stimulation et de défis réflexifs.
Comment pouvons-nous, en tant que coach, renforcer notre capacité à leur apporter tout ceci avec pertinence, à chaque fois que c’est nécessaire ?
Quelques repères qui me paraissent utiles
En ce qui me concerne, je m’appuie notamment sur quelques références, qui me semblent pertinentes et « m’aident à aider » mes clients.
(Je les énonce à titre d’exemple car il en existe évidemment beaucoup d’autres).
Du point de vue théorique :
- Les notions d’éthique de conviction et d’éthique de responsabilité, développées par Max Weber,
- La représentation de la Loi proposée par Emmanuel Levinas, comme moyen de garantir l’équité, dès que le collectif humain atteint … 3 personnes !
Du point de vue des zones à explorer avec le coaché :
- Son système de valeurs et ce qui le met en énergie et en mouvement,
- Ses perceptions de ce qui est bien et mal, ses critères et ses échelles,
- Son rapport à la Loi, aux normes, aux interdits sociaux,
- Mais aussi son rapport à son sur-moi et à ses éventuelles pulsions de transgression,
- Son rapport à la redevabilité, la responsabilité et in fine à la culpabilité,
- Sa capacité de décentration et son empathie,
- …
Du point de vue des outils :
- La notion d’éternel retour, proposée par Nietzsche dans « Ainsi parlait Zarathoustra », dont j’apprécie le côté ultra simple. (Voici le lien vers un article que j’ai écrit à ce propos, sur mon ancien blog)
- Les cartes Ethidô
- …
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Pour ma part, ce qui me stimule dans ce travail sur les dilemmes éthiques des dirigeants que j’accompagne, c’est le fait de les inviter à se plonger dans l’analyse des effets de leurs décisions et à zoomer sur la responsabilité qu’ils auront à assumer dans le futur, proche et lointain, par rapport :
- A eux-mêmes, en premier lieu,
- A autrui (les personnes concernées par la décision et impactées par ses effets directs mais aussi indirects),
- A l’institution pour laquelle ils travaillent,
- Et enfin, parfois même, à la société (au sens le plus large) à laquelle ils appartiennent.
Ce qui amène à introduire dans la réflexion deux paramètres majeurs :
- Le temps long, versus l’immédiateté qui précipite et agite trop souvent la vie des organisations de nos jours,
- Et l’intérêt général, par opposition avec les intérêts particuliers, à l’aune desquels il peut être tentant de prendre des décisions en entreprise.
Une sorte de contrechamp socio-culturel, en somme. Mais n’est-ce pas aussi cela, le coaching : un art de faire émerger des contrechamps fructueux ?