Dans une période où la liberté est parfois brandie pour justifier de ne pas respecter la loi (laquelle s’applique en théorie à tous uniformément), je vous propose de revenir sur les deux notions fondamentales pour notre pratique que sont l’éthique et la déontologie, afin d’en mieux saisir la portée respective et de clarifier ce qui les distingue. Un passage par le dictionnaire devrait nous y aider. Consultons les définitions du Petit Robert :
- Déontologie :
Théorie des devoirs en morale. Déontologie médicale : ensemble des règles et des devoirs professionnels du médecin. - Éthique :
Science de la morale. Art de diriger la conduite. Qui concerne la morale.
Ah… On constate d’emblée que ces deux termes sont liés par un troisième : celui de morale. De quoi s’agit-il au juste ?
- Morale :
Science du bien et du mal ; théorie de l’action humaine en tant qu’elle est soumise au devoir et a pour but le bien. (…) Ensemble des règles de conduite considérées comme valables, de façon absolue. Ensemble des règles de conduite découlant d’une conception de la morale.
Le recours aux définitions, au lieu de nous éclairer, peut donc introduire du trouble, puisqu’il donne l’impression d’un recouvrement des trois notions. Alors, un détour par la philosophie pourrait-il nous aider à aller plus loin dans la distinction entre Morale, Éthique et Déontologie ?
Morale ou éthique du coach : la place de la subjectivité
Du point de vue philosophique, la morale apparaît essentiellement prescriptive car elle entend donner un éclairage absolu sur la question du Bien et du Mal. Ainsi, une attitude ou un comportement pourront être considérés comme moraux de façon collective et consensuelle.
- Par exemple, dans notre métier, on peut affirmer qu’il existe un impératif moral à ne pas nuire aux personnes que nous accompagnons, surplombant toute autre considération et s’imposant à tous les praticiens, quelle que soit leur sensibilité. Donc, pas question de maltraiter un client. Il s’agirait là d’un « mal absolu », reconnu comme tel par la profession.
L’éthique invite, quant à elle, à une interrogation interne, voire intime, parce qu’elle se déploie lorsqu’aucun repère moral (donc absolu) n’est mobilisable, dans ce qu’on peut appeler des situations limites. Elle ouvre un champ de questionnements et conduit chacun à se doter de points de repère spécifiques (donc personnels), à la faveur d’un examen de conscience et selon ses propres standards moraux et valeurs personnelles (lesquels relèvent souvent de l’absolu). A l’issue de ce processus, deux coachs peuvent donc s’apporter des réponses différentes à une même question.
- Par exemple : puis-je ou non coacher le N+1 d’une personne que j’ai déjà coachée ?
Il n’y a pas de réponse absolue à cette question. Je peux me référer à des usages, à des bonnes pratiques (qui répondront d’ailleurs plutôt par la négative, nous y reviendrons), mais pas à une prescription universelle qui règlerait la question une fois pour toutes en me dispensant de l’inconfort de tout questionnement personnel.
Il me sera donc particulièrement utile de m’interroger sur mes motivations. Pour quelles raisons est-ce que j’envisage de le faire ? Mes motifs sont-ils « bons » ou « mauvais » selon moi ?
Si je le fais parce que j’ai besoin de chiffre d’affaires, au mépris de toute autre considération, je peux moi-même considérer que mon choix n’est pas éthique car dicté par mon seul intérêt.
Notre travail au long cours consisterait donc à renforcer notre capacité à identifier ces situations limites, et à ne pas s’esquiver. Il en va de notre maturité professionnelle mais aussi personnelle.
Éthique ou déontologie : quelle ligne de partage pour le coach ?
Mais alors, me direz-vous, où est passée la déontologie, dans cette affaire ?
Cette dernière est a priori plus opérationnelle et plus prescriptive puisqu’elle a vocation à valoriser certaines bonnes pratiques, dans un métier particulier. Parfait ! Mais dans le nôtre, il faut savoir décoder les codes ! Car en cherchant à identifier des lignes de partage nettes, nous voilà bien embarrassés, tant les documents de référence dans notre profession semblent brouiller les cartes. Illustrations :
- Le code déontologique de la SFCoach (le 1er publié en France) indique dès son introduction lister des repères éthiques dont la mise en œuvre suppose à la fois réflexion personnelle et travail de discernement du coach.
- Celui de EMCC précise dans son introduction avoir « pour but d’être un guide, et non un document juridiquement contraignant qui détaillerait ce qu’un membre est autorisé ou non à faire. »
- Sur la question des conflits d’intérêts, le code de déontologie d’ICF (article 10) invite à un questionnement personnel : « Je suis sensible aux conséquences de la multiplicité des contrats et des relations avec le même client et le même commanditaire simultanément, afin d’éviter les situations de conflit d’intérêts. ».
En définitive, nos codes de déontologie semblent surtout conçus pour nous inviter à un travail réflexif personnel exigeant. Ils nous suggèrent de nous questionner sur ce qui doit et peut être fait dans le cadre de notre pratique professionnelle et sur les limites que nous devons nous imposer pour effectuer un « bon » travail. Souvenons-nous que nous ne devons jamais cesser d’exercer notre vigilance sur de possibles dérives vers des postures fondées sur une illusion de toute-puissance, voire la malveillance, la configuration d’accompagnement pouvant y verser aisément.
Il nous appartient donc de renforcer notre capacité de questionnement éthique, mais soulignons tout de même que, sur certains sujets, on constate un écart d’approches entre les codes des trois principales associations professionnelles. Par exemple, sur la question fondamentale du degré de proximité à installer entre le coach et le coaché, le Code de la SFCoach indique dans son article 1-4 (Respect des personnes) : « Conscient de sa position, le coach s’interdit d’exercer tout abus d’influence. », tandis que celui d’EMCC précise dans son article Art. 2.19 (Interactions inappropriées) que « Les membres s’interdisent strictement d’engager ou d’entretenir toute relation sentimentale ou sexuelle avec leurs clients ou commanditaires », choisissant donc de formuler un interdit explicite et formel.
Chacun d’entre nous peut donc choisir de s’arrimer au code qui s’accorde le mieux à sa sensibilité, à ses besoins et à sa vision du monde. Mais quel que soit notre préférence, la déontologie ne règlera pas tout et nous devrons apprendre à arpenter sans relâche la « pyramide éthique ».
Le coach face à la pyramide éthique
Nous, coachs, sommes invités à développer une réflexion morale sur les conditions d’exercice de notre pratique, en distinguant entre 4 niveaux :
- Le respect de la Loi en vigueur dans son pays constitue le socle minimal de la pyramide.
Exemple : procéder à une facturation officielle de nos prestations et leur appliquer le taux de TVA auquel nous sommes soumis du fait de notre statut juridique. - Le respect de principes moraux intangibles le complète.
Exemple : ne pas nuire (ni aux personnes, ni aux organisations, ni aux confrères), respecter la confidentialité, faire preuve d’intégrité, ne pas abuser de la relation d’influence créée par l’accompagnement… - Le respect de la déontologie s’y superpose, nous incitant à connaître et se conformer aux usages et bonnes pratiques propres à notre métier.
Exemple : ne pas exercer le coaching sans être formé et régulièrement supervisé, ne pas coacher un proche (ami, relation), tenir les séances dans un lieu neutre et confidentiel, ne pas rapporter d’informations confidentielles sur l’avancée du travail au prescripteur même s’il le demande… - Et, enfin, le questionnement éthique, qui vient en quelque sorte couronner l’édifice : il se déploie à l’occasion de ces situations limites pour lesquelles il n’existe pas de réponse préétablie et nous conduit à une pratique intense de la position méta.
Exemple : Suis-je capable de bien accompagner une personne dont je ne partage pas du tout les valeurs ou le style de vie ? Puis-je intervenir dans une entreprise dont je réprouve le modèle de leadership ? Suis-je en train de chercher à influencer mon client d’une façon inappropriée ?
Questionnement éthique, réflexivité et stades de développement du coach
Les dilemmes éthiques surgissent donc quand les autres niveaux ont été réglés, dépassés car intégrés/métabolisés. Ils s’avèrent donc pour partie liés à notre maturité et à notre capacité réflexive. En effet, pour qu’un questionnement éthique se fasse jour, il faut que nous soyons capables de soutenir un débat interne, où deux instances en nous entrent en opposition, ou du moins en dialogue : l’une estimant que le comportement en question est bon et justifiable pour certaines raisons, tandis que l’autre le reprouve au nom d’autres raisons.
Cette tension interne se manifeste d’ailleurs souvent par une gêne, un inconfort, qui peut prendre une dimension physique : nous sommes mal à l’aise, dans telle situation, où nous nous sentons tiraillés et doutons de la conduite à adopter. Ce doute, cette inquiétude, peuvent affecter l’efficacité de notre accompagnement par le trouble interne qu’ils causent.
Identifier ce malaise, en repérer l’origine pour identifier la meilleure approche possible pour chacun de nous, en intelligence de situation, est l’objectif de la réflexion éthique. Cela relève d’un véritable travail de conscience, très présent en supervision. Mais si son processus est stable et récurrent, son contenu évolue dans le temps selon notre niveau de développement personnel et même « spirituel ». En effet, plus un individu est conscient des liens qui l’unissent à tout ce qui l’entoure, plus il sera amené à identifier ces fameuses situations limites et à s’interroger honnêtement sur la juste attitude à adopter.
Ainsi, notre métier nous donne une formidable opportunité de nous interroger sur la façon de contribuer positivement au monde. Et nous ramène à l’une des interrogations majeures de la philosophie : qu’est-ce que la « vie bonne » ?