« Avec moi, les coachés pleurent beaucoup. » Cette affirmation, entendue par hasard dans la bouche d’une consœur, m’a étonnée et m’a donné envie d’aller regarder de plus près ce que peut être la place des larmes en coaching.
Coaching ou pas, pourquoi pleure-t-on ?
Les larmes (celles que les chercheurs qualifient d’« émotionnelles ») sont typiquement humaines. Elles constituent un phénomène subtil, qui peut traduire des affects très différents. Schématiquement, on pourrait dire qu’on pleure :
- Soit parce qu’on est malheureux, triste, souffrant, ébranlé dans notre confiance en nous-mêmes ; c’est le sens le plus fréquemment associé aux larmes,
- Soit au contraire parce qu’on est joyeux, heureux, et qu’on sent son cœur étreint par une satisfaction intense, en relation avec des êtres chers (fêtes, cérémonies, …) ou dans des situations positives à fort enjeu (remise de prix, réussite, …),
- Soit parce qu’on est bouleversé par la beauté, devant un paysage ou une œuvre d’art, par exemple,
- Soit, enfin, parce qu’on est traversé par ce que les bouddhistes appellent « émotion de participation », ce sentiment très puissant d’être intimement relié avec le monde en son entier et toutes les formes de vie sur terre. Une approche occidentale de ce même phénomène a été décrite par Romain Rolland, avec la notion de « sentiment océanique » qu’il définit comme la volonté de faire un avec le monde, hors de toute croyance religieuse.
Bien sûr, les larmes concernent d’abord celui ou celle qui les verse, mais on le sait, pleurer seul ou en présence d’autrui n’a pas le même sens. D’ailleurs, certaines études indiquent que la vocation biologique des larmes en public pourrait être d’activer l’empathie des humains qui en sont témoins, et de les conduire à accorder aide ou réconfort au pleureur.
Bref, les larmes sont une manifestation émotionnelle très polysémique. Seul le contexte permet d’approcher le sens qu’elles peuvent avoir pour le pleureur, dans le système au sein duquel elles émergent.
Pleurer ou ne pas pleurer en coaching, telle est la question…
Il semble donc évident qu’il peut arriver que le coaching conduise nos clients dans des zones sensibles qui provoquent des larmes ; mais il n’y a rien là de systématique.
En effet, si certains clients peuvent avoir un rapport fluide aux larmes et s’autoriser fréquemment cette manifestation, ce n’est pas le cas de tous les coachés, loin s’en faut. Cela dépend de leur personnalité, de leur rapport à leurs émotions, de leur caractère plus ou moins réservé ou expansif. En effet, pour certains, femmes ou hommes, les larmes relèvent de l’intime et il est difficile, voire inconcevable, de pleurer devant un tiers, en raison de la croyance encore courante selon laquelle les larmes seraient un aveu de faiblesse, et en tant que telles, risquées, notamment dans l’univers professionnel qui valorise la maîtrise de soi et la solidité apparente.
Mais n’oublions pas qu’à ces caractéristiques intrapsychiques vient s’ajouter le puissant phénomène du genre, qui constitue certainement un niveau d’obstacle à cette manifestation émotionnelle pour les hommes, souvent élevés dans l’idée que les larmes sont un marqueur de faiblesse et, à ce titre, ne font pas partie de l’arsenal des comportements virils ou masculins socialement prescrits. De ce fait, les larmes (publiques) des hommes sont peu fréquentes. Et encore moins leurs sanglots. Ce phénomène de filtre socioculturel est si fort qu’il peut nous aveugler. J’en veux pour preuve un fait très concret : en cherchant des images illustrant le mot « larmes » sur Google, Bing ou Qwant, on obtient presque exclusivement des images d’yeux larmoyants féminins, aisément reconnaissables à la longueur des cils et au rimmel qui les souligne ! Parfois, au mieux, s’y trouve un œil d’enfant…
L’arrivée des pleurs dépend aussi des objectifs du coaching. En effet, certaines problématiques comportent de façon assez évidente une dimension émotionnelle forte (prendre sa place, s’affirmer, gérer les conflits, …), tandis que d’autres semblent soit plus techniques, soit plus distanciées.
Lorsqu’elles surviennent, les larmes du coaché peuvent signaler un message qu’il n’a pas pu exprimer autrement, notamment dans deux cas de figure :
- Elles expriment un affect refoulé jusqu’ici, parvenant à accéder à la conscience du coaché qui va donc pouvoir l’éprouver. Le rôle du coach est alors d’aider la personne à accueillir et à contenir cet affect.
- Elles peuvent aussi manifester une émotion ou un ressenti qui dépasse (temporairement) la capacité de verbalisation du coaché. Le coach doit alors aider son client à nommer ce qui le traverse, puis à identifier les besoins associés à cet affect.
L’expertise du coach consiste donc à aider son client à passer du stade d’objet de ses propres affects au stade de sujet, qui sait ce qu’il éprouve, en comprend le sens et peut réagir en conscience à partir de cette connaissance de soi.
Le rôle du coach dans l’émergence des pleurs
Aussi, autant il me semblerait étrange que nos clients ne pleurent jamais, autant je trouve suspect que les clients d’un coach pleurent toujours ou même très souvent. En quoi cela pourrait-il venir du coach, autant que de ses clients ?
Cela m’amène à formuler l’hypothèse suivante : certains coachs auraient peut-être besoin, pour des raisons personnelles inconscientes, d’induire un climat émotionnel intense qui débouche fréquemment sur des larmes. Cela pourrait même révéler une fragilité émotionnelle du coach. Dans ce registre, je me souviens de mon étonnement ce jour où de jeunes coachs devant lesquels nous réalisions un jeu de rôles, avec une consœur, m’ont interpelée : « Tu ne pleures pas alors que ton client te parle d’un suicide dans son entreprise ?! » Certains, choqués par mon calme, avaient du mal à entendre que mon émotion aurait pu être été déplacée puisque la cliente, elle, ne manifestait pas d’émotion particulière vis-à-vis de cet événement grave qu’elle me rapportait toutefois gravement, et que j’entendais gravement.
D’autres coachs, dans un autre style, ont peut-être une approche frontale, voire brusque, qui bouscule délibérément leurs clients et suscite des émotions chez eux.
Enfin, a contrario, on peut supposer que certains collègues peuvent être mal à l’aise face aux larmes de leurs clients, et avoir tendance à les empêcher ou à les éviter…
Alors : Sensibilité ? Sensiblerie ? Insensibilité ? Blindage ?… Il est certain que ces attitudes influent sur l’émergence des larmes des clients en coaching.
Conclusion
En tant que professionnels de l’accompagnement, il nous incombe de nous interroger sur le rythme d’occurrence des larmes dans notre bureau, ce qu’il dit des clients que nous attirons mais aussi sur ce qu’il révèle de nous, peut-être à notre insu … C’est une bonne occasion d’explorer notre propre rapport aux larmes : osons-nous pleurer ? Nous en donnons-nous le droit ? Dans quelles situations ? Comment réagissons-nous au contact des larmes des autres ?
En tous cas, les larmes ne constituent nullement un indicateur d’efficacité du coaching. Elles peuvent contribuer à l’avancée du coaché, mais seulement à la condition que le coach sache les utiliser au bénéfice du processus de coaching et de ces objectifs, en accueillant et contenant cette décharge émotionnelle, puis en permettant au client de la dépasser, en se connectant à l’énergie qu’elles ont mise en mouvement…