Il y a plus de 2000 ans déjà, Héraclite nous avait prévenus avec une formule lumineuse de simplicité : « Rien n’est permanent sauf le changement ». Et il n’a pas été démenti depuis, y compris sur le terrain des vocables utilisés pour parler du changement lui-même. Oui, les mots changent aussi ! Et vous l’avez sans doute noté, en entreprise, il est question à présent de Transformation. Pourquoi cette terminologie ?

Comment analyser cette évolution de notre langage ? Traduit-elle une profonde mutation de nos idées, de nos représentations et de nos intentions collectives ? Et si transformation il y a/aura, comment l’accueillir, l’accompagner et, surtout, y contribuer ?

Petit rappel de théorie du changement

L’Ecole de Palo Alto distingue les changements de type 1 et de type 2 (celui auquel correspond le terme de transformation) :

  1. Le changement de type 1 consiste en une forme de répétition de solutions déjà mises en œuvre dans le passé. Il produit une forte homéostasie du système. C’est pourquoi, il est parfait dans un monde stable où des process répétitifs doivent être mis en place afin de gagner du temps au quotidien. Dans un tel système, la bonne assimilation/reproduction de ce qui fonctionnait jadis assure la performance d’aujourd’hui. Mais dans un système marqué par l’incertitude et le chaos, elle conduit au contraire à de mauvaises décisions de façon presque certaine.
  2. Le changement de type 2 consiste en un changement radical (shift, en anglais), une rupture complète avec la façon de procéder avant, qui découle d’une mutation préalable de représentation de la situation problématique (on appelle ce processus cognitif le recadrage). Il est adapté et utile dans les univers complexes, instables et mouvants. Il est donc au programme de nos vies et de celles de toutes les formes d’institutions, à l’avenir. Mais les humains répugnent souvent au changement de type 2, bien plus anxiogène !

Alors, de quels nouveaux repères et réflexes faut-il se doter pour nous hisser au changement de type 2 et éviter de bégayer dans un frustrant changement de type 1 ? En effet, vous l’avez sans doute déjà expérimenté, faire « toujours plus de la même chose » en sachant fort bien que cela ne règlera rien s’avère particulièrement épuisant et déprimant.

Les enjeux sont immenses pour les entreprises

En tant que manager ou dirigeant, vous vous adressez sans doute cette question tous les matins… Et elle est en effet d’autant plus importante que la liste est longue des mutations devant être opérées par les entreprises à court ou moyen terme. (Posons l’hypothèse que ces transformations auront lieu de gré ou de force, tôt ou tard) :

  • Le type de prestations rendues (quels produits/services pour répondre à quels besoins, dans un monde fini, aux ressources limitées, et secoué par une crise climatique aigüe ?)
  • Le modèle économique (quelle rentabilité durable, y compris en intégrant les externalités négatives ?)
  • La gouvernance (qui prend les décisions structurantes, dans l’intérêt à moyen/long terme de quelles parties prenantes et selon quelles règles institutionnelles ?)
  • L’organisation du travail (qui travaille comment, combien et où ?)
  • Les leviers de motivation des salariés (qui travaille avec qui et pour quoi ?)
  • Et enfin, le management (qui accompagne les collaborateurs au quotidien pour assurer la cohésion et la performance globale de l’entreprise, malgré les turbulences qu’elle affronte ?)

Aucune entreprise, aucune organisation n’y échappera bien longtemps : il s’agit de fait de conduire un changement profond, radical même, et durable. Au-delà du storytelling et de la mobilisation des éléments de langage qui font mouche, le terme de transformation paraît tout à fait adapté. Mais gageons que ce processus ne se déploiera que si les femmes et les hommes, forces vives des entreprises, y sont ouverts.

La tâche des leaders (dirigeants et équipes de direction) est donc de comprendre comment s’y préparer, individuellement et collectivement.

Les leviers pour agir, selon la Théorie U

Pour changer le monde, il convient de se changer soi-même ! Cela pourrait être le mantra de la Théorie U, développée depuis une vingtaine d’années par une équipe pluridisciplinaire, autour de Otto Scharmer, au sein du célèbre MIT.

Elle nous sensibilise au fait que, pour régler des problèmes systémiques, redoutablement complexes et transversaux, il s’agit d’abord d’apprendre à penser différemment : plus large, plus profond et avec d’autres.

Mais elle met en lumière cet aspect majeur : penser autrement suppose avant tout de sentir autrement, d’appréhender différemment les situations, les relations, et même son rapport à soi-même…

Or, devant un problème difficile, l’esprit humain a le choix entre deux options :

  1. La rigidification de la pensée, du cœur et de la volonté (posture qualifiée de « Frozen » dans la Théorie U). Elle passe par le déni, le court-termisme, la répétition et débouche le plus souvent sur la haine et la violence.
  2. L’ouverture de la pensée, du cœur et de la volonté (posture qualifiée de « Open » dans la Théorie U). Elle passe par une meilleure connexion avec soi-même et les autres, qui rend possible une réelle créativité coopérative et éthiquement responsable.

Mais choisir l’ouverture ne se fait pas spontanément et impose un travail préalable de mise en condition car il s’agit de créer de nouveaux réflexes pour apprendre à penser « hors les clous ». Parmi ces habitudes porteuses de changement, on peut citer l’ancrage physique. De ce point de vue, l’invitation de la Théorie U est étonnamment simple et claire :

  • Ne jamais commencer une réunion sans avoir pris la peine (par un protocole très simple) de se relier à soi-même et aux autres,
  • Et constater à quel point ce petit effort produit des effets puissants sur notre capacité à coopérer, à nous montrer créatifs et solidaires, et ainsi, à imaginer des solutions vraiment nouvelles aux gigantesques défis de notre temps.

Comme s’il ne nous restait plus qu’à mettre en œuvre cette proposition apparemment naïve pour commencer à réveiller et solliciter notre potentiel d’humanité…

Personnellement, je crois que nous n’avons rien à perdre mais bien tout à gagner à essayer. Et vous ?

Valérie PASCAL