L’executive coaching n’est pas un bocal hermétique, ni un bloc opératoire aseptisé. Les dirigeants que nous accompagnons ne sont pas coupés du monde : ils évoluent dans une société traversée par des tensions économiques, sociales, politiques et secouée par des émotions puissantes. La colère et la peur, omniprésentes aujourd’hui dans le débat public au point de l’empêcher, ne restent pas sagement sur le seuil de l’entreprise. Elles y pénètrent, la travaillent – et, par ricochet, elles nous concernent, en tant que coachs.

L’économie n’explique pas tout

Depuis toujours, l’activité de coaching suit les cycles économiques : en période d’expansion, les demandes fleurissent ; en période de récession, elles se contractent. Mais la rentrée 2025 nous confronte à un paysage plus complexe : ce ne sont pas seulement les perspectives économiques qui s’assombrissent. Les nuages s’amoncellent sur de nombreuses dimensions de la vie en société, de nos vies et de celles de nos clients. Les émotions saturent de plus en plus le champ sociétal. Notamment, la colère.

Une époque sans amortisseurs

Or, comme le souligne Giuliano da Empoli dans Les ingénieurs du chaos, nos sociétés ont perdu, au fil du XXème siècle, les « amortisseurs » traditionnels de la colère :

  • L’Église, qui promettait le salut dans l’au-delà.
  • Les partis de gauche, qui portaient un projet de transformation sociale.
  • Et on peut y ajouter les syndicats, qui recyclaient la contestation en revendications concrètes.

En l’absence de ces institutions régulatrices, la colère enfle, alimentée par des peurs diffuses et des mouvements habiles à les instrumentaliser.

Au moment où j’écris cette lettre, entre deux mouvements de mobilisation et de contestation sociale, entre deux équipes gouvernementales, je suis frappée de constater que la plupart des analystes convergent vers cette idée qu’une multitude de colères traversent la société française et redoutent que ces émotions, couvant depuis des années, ne finissent, coalisées, par exploser et se déchaîner à la faveur d’un déclencheur plus ou moins anodin.

Les dirigeants face aux émotions

Pourtant, curieusement, dans nos accompagnements auprès de dirigeants, la colère se manifeste peu. C’est sans doute lié au fait que les CSP+ semblent davantage habitées par l’inquiétude que par la rage : peur de l’avenir économique, de la transition écologique, de l’instabilité politique. Cette forme de peur, plus feutrée que la colère, n’en est pas moins latente. En outre, les dirigeants encadrent des équipes, et leurs collaborateurs ne sont pas forcément sur la même longueur d’onde émotionnelle. Ils éprouvent sans doute plus directement la frustration, la peur, voire la révolte. (Je fais ici référence à plusieurs études réalisées en France ces dernières années, qui démontrent que le profil émotionnel des différentes catégories sociales de l’INSEE est différent).

Donc, si nous adoptons une lecture psychosociologique du processus du coaching, on peut supposer qu’il est improbable que des affects aussi puissants restent à la porte de l’entreprise, quand les gens vont travailler le matin et les attendent sagement sur le seuil qu’ils en ressortent, le soir.

Ces émotions pénètrent donc nécessairement l’entreprise : elles circulent dans les interactions, imprègnent les collectifs et devraient nous conduire à repenser les approches de leadership.

Deux responsabilités clés pour les coachs

Dans ce contexte, notre rôle, en tant qu’executive coach, consiste à favoriser deux pistes de travail avec les dirigeants :

  1. Favoriser l’expression des émotions des dirigeants eux-mêmes, en donnant une légitimité et une réalité à ce « territoire », qui est souvent frappé de déni dans les organisations,
  2. Développer leur radar émotionnel : les outiller pour détecter et comprendre les signaux émotionnels de leurs équipes, afin d’en faire des leviers de cohésion et non des ferments de rupture.

Ces compétences relèvent de l’intelligence émotionnelle. Et celle-ci, on le voit bien, n’est plus facultative : elle devient une compétence stratégique pour tout leader, en 2025.

Le miroir du coach

Travailler avec nos clients sur ces thématiques, c’est aussi accepter de nous y confronter nous-mêmes. Explorer notre propre rapport à la peur, à la colère, à l’incertitude quant à l’avenir. Car notre posture, nos résonances émotionnelles, conditionnent la qualité de nos accompagnements.

Et si l’impact le plus puissant du coaching résidait là : non pas dans l’éradication des tensions sociales, mais dans la capacité à transformer la peur et la colère en une énergie d’action constructive ?