Sur fond de crise sanitaire persistante, l’année 2020 aura été marquée par des réflexions tous azimuts sur « la Vérité », notamment en raison des polémiques alimentées par les réseaux sociaux. Comment démêler le vrai du faux, dans cette période chaotique, où tout paraît aussi vraisemblable qu’invraisemblable, et vice versa ? Cette question a autant d’acuité au sein des entreprises que de nos vies de citoyens. Alors, dans les relations de travail, et en particulier dans les relations managériales, comment s’assurer que les informations partagées sont bien vraies, et surtout, que c’est bien la vérité que nous voulons entendre ? Car il n’y a de fake news que parce qu’on les appelle…

« Je me suis rendu compte, en tant que directeur général, qu’on m’a toujours menti ». Je ne sais pas si cette citation fait écho pour vous, mais il n’est pas rare que j’entende des constats de ce type, dans le cadre des séances de coaching avec des dirigeants ou managers, qui déplorent le manque de franchise de leurs équipiers ; ils pointent à raison la duplicité voire l’insubordination de certains collaborateurs, et s’indignent de leur incapacité à s’avérer loyaux.

Tout ceci n’est pas faux, mais, hélas, ne dépend pas d’eux – du moins au premier abord… En effet, il me semble intéressant de nous demander comment nous pouvons, parfois, alimenter nous-mêmes (involontairement, bien sûr) les relations que nous déplorons. Aussi, je vous propose de suivre la voie ouverte jadis par Michel-Antoine Burnier, dans le délicieux ouvrage « Que le meilleur perde, éloge de la défaite en politique », qui démontre que le sabotage inconscient est bien plus fréquent dans les attitudes des dirigeants qu’on pourrait le croire si l’on s’en tient à la thèse de la rationalité absolue des acteurs. La transposition de cette analyse au monde de l’entreprise me semble fructueuse.

Certes, vous qui lisez ces lignes pouvez ne pas être concerné.e par ce mécanisme, mais je mise sur votre curiosité pour vous prêter à cet exercice purement spéculatif : partant du principe que toute situation est la résultante des interactions antérieures entre ses protagonistes, je vous invite à repérer certaines attitudes ou postures managériales susceptibles de générer une relation de défiance entre vous et votre équipe. Prêt.e pour cette introspection ? C’est parti…

Comment accueillez-vous les mauvaises nouvelles ?

Qu’il s’agisse d’objectifs non atteints, de problèmes non résolus, de clients mécontents ou de conflits internes qui s’enveniment, comment les accueillez-vous ? Et surtout, comment réagissez-vous à l’égard de celui ou celle qui vous apporte la mauvaise nouvelle ?

Voici un florilège des réactions qui pourraient, à coup sûr, créer les conditions de ce que vous cherchez à éviter :

  • Vous explosez de colère,
  • Vous perdez confiance dans votre interlocuteur,
  • Vous l’accusez, voire le culpabilisez,
  • Vous lui reprochez son incompétence et le blâmez,

Vos collaborateurs ne s’y risqueront pas deux fois. A l’avenir, pour échapper à ces retours de bâtons, ils feront tout pour vous cacher ce type d’événements. Ceux-ci continueront évidemment à se produire, mais, soyez tranquille, vous n’en serez plus informé.e… Jusqu’au jour où un fait suffisamment grave imposera une remontée d’information jusqu’à vous. Mais si tard, trop tard…

Comment accueillez-vous les critiques ?

Je précise d’emblée que je ne fais pas référence ici à des critiques infondées ou exprimées de façon irrespectueuse, mais à des feedbacks pertinents, exprimés de façon assertive. Comment recevez-vous une critique quant aux effets des décisions que vous avez prises ou envisagez de prendre ?

Voici quelques exemples de pratiques qui pourraient, à coup sûr, amplifier les conditions de ce que vous redoutez :

  • Vous indiquez qu’il n’est pas question de discuter vos décisions,
  • Vous cherchez à convaincre votre interlocuteur du fait que vous avez raison et lui/elle a tort,
  • Vous avez tendance à contre-argumenter, à vous justifier,
  • Vous lui en gardez rancune (la vengeance est un plat qui se mange froid…),

Ce faisant vous émettez des signaux qui seront décodés comme l’affirmation de la règle tacite suivante : « De par ma fonction, j’ai raison, toujours, et vous me devez allégeance, déférence, et mensonge, le cas échéant ». Dès lors, vos collaborateurs ne vous feront plus part de leurs analyses et (sauf si votre équipe est composée exclusivement de personnes mal élevées et incompétentes, ce qui n’est pas le cas le plus fréquent) vous serez privé.e de ce qui manque le plus à ceux qui exercent le pouvoir : des points de vue différents du leur, qui offrent une vision plus large (et donc plus réaliste) de la situation et des enjeux, et permettent in fine de prendre de meilleures décisions.

Comment accueillez-vous les suggestions d’innovation ?

Quelle est votre réaction la plus fréquente lorsqu’un de vos collaborateurs vient vous faire part d’une idée qu’il a eue concernant la façon d’organiser le travail, de structurer les processus, de réaliser l’activité, ou même de faire évoluer l’offre destinée à vos clients ?

Voici une liste d’actions catastrophes, qui pourraient, à coup sûr, alimenter ce que vous cherchez à éviter :

  • Vous ne répondez rien au motif vous êtes requis.e par des affaires importantes,
  • Vous lui indiquez que vous n’avez pas sollicité son avis,
  • Vous dites que vous allez confier le sujet à une « personne qualifiée »,
  • Vous lui répondez « non » sans plus d’explication

Ayant compris ce que vous attendez d’eux, vos collaborateurs ne feront plus de zèle et se garderont bien de partager avec vous des pistes, à l’avenir. Ils exécuteront bêtement ce que vous leur demandez de faire. Et le travail réel se réduisant peu à peu au travail prescrit, la performance de votre équipe tendra à se dégrader, sans que vous compreniez pourquoi.

Comment accueillez-vous les demandes d’aide ?

Enfin, il peut arriver que, dans certaines situations, vos collaborateurs, même les plus talentueux et valeureux, buttent sur des problèmes dont ils craignent de ne pas venir à bout seuls. Et dans ce cas, ils peuvent être tentés de venir demander de l’aide à leur patron. Comment accueillez-vous ce type de demande ?

Voici une liste d’options, qui pourraient, à coup sûr, consolider les conditions de ce que vous cherchez à éviter :

  • Vous leur demandez si ce n’est pas justement pour cela qu’ils sont payés : résoudre des problèmes et trouver des solutions,
  • Vous leur dites que vous avez d’autres soucis, autrement stratégiques que ces broutilles,
  • Vous leur répondez que vous craignez qu’ils n’atteignent pas leurs objectifs de l’année,
  • Vous leur assénez : « Il me semblait bien que vous n’étiez pas à niveau sur cette compétence. »

Dès lors, comme vous pouvez vous en douter, vos collaborateurs s’ingénieront à vous cacher leurs faiblesses et à dissimuler d’éventuels manques de compétences ou lacunes. Par conséquent, ils ne progresseront plus et vous pourriez bien avoir à faire, un jour, à une des ces équipes composées uniquement de personnes incompétentes…

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Amères perspectives, convenons-en, qui soulignent combien les boucles de rétroaction systémiques peuvent conduire à des effets pervers fort dommageables… Mais, vous avez raison : j’ai forcé le trait et personne ne dit ni ne fait ces choses-là, à notre époque ! Ouf !

Pour autant, il n’est jamais inintéressant d’interroger nos habitudes et d’identifier leurs effets, en vue de débusquer nos éventuels angles morts. Car nous sommes ainsi faits que nous ne voyons pas de nous ce qui saute aux yeux de notre entourage.

En entreprise ou ailleurs, la Vérité n’est certes pas toujours facile à accueillir. Quand il y a divergence de vues, elle est même parfois dure à entendre, donc difficile à dire. Mais c’est justement là qu’elle est la plus précieuse, et que nous devrions lui prêter toute notre attention. Car si accueillir la vérité et la sincérité nous demande beaucoup d’efforts, leur absence n’est-elle pas pire encore, et finalement bien plus coûteuse, à terme ?

Valérie PASCAL