Le coaching apparait principalement comme une pratique, voire un art de la conversation. C’est une modalité d’accompagnement dans laquelle le langage joue un rôle central, même si des éléments de communication non verbale et infra-verbale y sont évidemment à l’œuvre. La question de la place et de la fonction du silence en coaching doit donc être explorée. En effet, le silence est constitutif du langage, ou peut-être même, il est un langage.

Tentatives pour cerner le silence

« Le silence est une tranquillité mais jamais un vide ; il est clarté mais jamais absence de couleur ; il est rythme ; il est le fondement de toute pensée. » (Yehudi Menuhin)

La nature du silence

Notons tout d’abord que comme tout comportement humain, le silence d’un individu ne trouve son sens que dans une mise en perspective par rapport aux usages sociaux du moment, ici en matière de communication interpersonnelle. Or, je pense pouvoir affirmer que notre société est marquée par un goût forcené pour le bruit de fond, le bavardage, le babil continu, comme le montre le streaming : un flux sans fin, sans commencement et sans but, autre que celui de s’alimenter lui-même. On peut donc supposer que, dans cette société, le silence est de prime abord … suspect. Quelqu’un qui ne dit rien cacherait forcément quelque chose… Mais peut-on chercher à cacher des choses, en coaching ? Et à qui ?

Par ailleurs, on ne peut pas « parler du silence » (expression paradoxale s’il en est !) sans chercher à cerner sa nature et pour cela, il peut être utile de chercher à la qualifier en tant qu’opposé ou que contraire de quelque chose de plus aisé à saisir. Par exemple :

  1. Le silence, c’est le contraire de l’expression, comme une retenue ou une suspension de la parole,
  2. Le silence, c’est une mise en retrait dans la relation (voire l’annonce d’une rupture ?),
  3. Le silence, c’est quand il y a trop ou trop peu à dire.

La durée du silence

Sa durée contribue aussi à lui donner un sens, dans la mesure où elle peut être perçue comme un indicateur d’intensité de ce qui habite et motive le silence, qu’il s’agisse de gène, joie, colère, besoin de décanter, interrogation, désarroi, tactique… Mais le temps que dure le silence, ce temps qu’il s’autorise, est moins objectif qu’investi subjectivement, tant par celui qui y plonge que par celui qui conversait avec lui et s’y trouve plongé, de fait… Il peut sembler très long ou très bref, ou les deux à la fois !, aux deux protagonistes de la conversation.

Enfin, autant que le contexte socioculturel, il y a une grammaire du silence à prendre en compte car elle peut conduire à des bévues : dans certaines configurations de communication, le silence même peut être perçu comme une forme de grossièreté. Par exemple : si un professeur interroge un élève, ou (dans un contexte d’entreprise) un patron son collaborateur, la réponse est attendue rapidement, faute de quoi une forme d’insolence pourra être suspectée. En coaching, au contraire, on peut considérer que le silence fait partie des modalités d’interaction qui ont plus que droit de cité…

Le sens mystérieux du silence

« Les mots que l’on n’a pas dits sont les fleurs du silence. » (proverbe japonais)

Si le silence prête parfois au soupçon, c’est parce qu’il active l’interprétation. En effet, confronté au silence, surtout lorsqu’il s’agit de celui de l’autre, on peut éprouver parfois une sensation d’opacité et de mystère. Quelle est la raison du silence de l’autre ? Quelle est son intention ? Quel est son contenu profond, immergé ? Comment l’approcher ?

  • S’agit-il d’un silence de trop plein ? Ou d’un silence vide, tout en creux ?
  • S’agit-il d’un simple état transitoire, d’un sas ?

Le sens du silence n’est jamais donné pour certain (s’il n’est pas explicité par son auteur), mais il peut être éclairé par sa place dans la séquence de communication. En effet, le silence intervient après une séquence d’expression, une formulation. Donc, il prend sens par rapport à ce qui le précède, il en découle. D’où le célèbre mot d’esprit de Sacha Guitry : « Lorsqu’on vient d’entendre un morceau de Mozart, le silence qui lui succède est encore de lui. » Mais son sens sera aussi éclairé par l’expression verbale qui va lui succéder, comme l’expir suit l’inspir.

Mais l’usage du silence doit par ailleurs être mis en perspective des modalités habituelles d’expression de celui qui l’énonce. De ce point de vue, on ne peut que rappeler l’utilité de la paire Jungienne : Extraversion/Introversion. Un long silence produit par un extraverti sonnera très différemment du même silence produit par un introverti, qui a besoin d’élaborer d’abord pour lui-même sa pensée en silence, avant de l’exprimer.

Le silence en coaching

Le silence est donc un phénomène polysémique qui mérite que nous, coachs, nous y intéressions de près, afin de le travailler au mieux en coaching. Dans cette perspective, selon qui « fait silence » dans l’échange entre coach et coaché, le sens et le décodage seront évidemment très différents.

Le silence du coaché

Examinons d’abord le silence du coaché : que peut-il signifier/exprimer ?

Toute une gamme de sens peuvent être évoqués, comme autant de pistes d’interprétation possibles :

  • Est-ce un silence de digestion ou de conscientisation ?
  • De résonance ou d’émergence émotionnelle ?
  • D’exploration de la mémoire ?
  • De réflexion interne, d’élaboration et de mise en mouvement ?
  • D’immobilisation dans l’angoisse ? De stupeur ?
  • De ponctuation ?
  • De ressourcement ?
  • De vexation ?
  • De distraction ?
  • De fatigue, de somnolence ?
  • De désengagement ? De décrochage ? Voire de retrait ?

Ces pistes seront bien sûr à rapprocher des modalités habituelles de communication du coaché, car c’est bien de façon relative que le sens de son silence pourra être décodé. Et le coach devra, évidemment, se garder de projeter ses hypothèses sur l’écran blanc du silence de son client…

Le silence du coach

Le silence du coach, quant à lui, appelle d’autres éclairages. En effet, en tant que coachs, nous avons « raison » de nous taire s’il s’agit de :

  • Attendre que le coaché parle, s’exprime, et lui signifier que l’espace-temps de la séance est pour lui/elle,
  • Exprimer une présence habitée à ses côtés,
  • Se synchroniser avec son propre silence,
  • Accueillir pleinement ce qu’il.elle vient d’exprimer,
  • Faire place à une résonance, où nous éprouvons nous-mêmes un affect lié à son expression,

En revanche, certains de nos silences peuvent trahir un moment de malaise qui ne concerne que nous et ne devrait théoriquement pas interférer dans notre relation avec le coaché :

  • Un silence de gène/perturbation du coach qui, par exemple, ne saurait plus quoi faire ou dire ?
  • Un silence de rétention/répression d’une réaction émotionnelle négative à l’encontre du coaché ?

Ces moments de déstabilisation et les processus qui les suscitent doivent faire l’objet d’un travail réflexif du coach, notamment en supervision.

L’exploitation du silence dans le processus de coaching

Pour accompagner le silence du coaché, plusieurs directions me semblent fructueuses :

  1. L’accueillir et s’y tenir avec le coaché jusqu’à ce qu’il le rompe,
  2. S’interroger sur son propre ressenti, sa résonance à ce silence (une émotion s’est-elle transmise à nous ?)
  3. Inviter le coaché à verbaliser ce qui s’y est passé pour lui,
  4. Aider le coaché à intégrer (aux plans corporel et cognitif) ce qu’il a éprouvé, surtout s’il s’agissait d’une réaction émotionnelle.

Par ailleurs, il faut souligner qu’en tant qu’accompagnant, nous avons tous une capacité d’accueil du silence différente :

  • Pour certains d’entre nous, il s’agira peut-être de travailler son impatience afin d’accorder au coaché le temps dont il a besoin dans son silence, quoi qu’il nous en coûte,
  • Pour d’autres, il s’agira au contraire de chercher une posture plus dynamique afin de ne pas laisser des temps morts s’introduire dans la séance et une forme d’assoupissement gagner le coaching.

***

Bref, en coaching comme ailleurs, le silence demeure un continent mystérieux ; il n’en a pas fini de nous surprendre et de suspendre nos bavardes intentions interprétatives. Pour l’apprivoiser, le mieux serait peut-être de rester coi…

Valérie PASCAL