L. pratique le coaching depuis peu. Elle vient en séance de supervision troublée par son sentiment d’échec dans la conduite de sa première mission en entreprise, configuration nouvelle pour elle. Elle explique ne pas comprendre pourquoi Édith, sa cliente, fait du surplace. En six séances, elle a pourtant questionné ses motivations, ses valeurs, sa confiance en elle, et même exploré avec elle son type de personnalité. Mais rien n’y fait. Le sentiment de légitimité de sa cliente et sa capacité à prendre toute sa place de nouvelle directrice financière, dans une entreprise de transports, ne progresse pas.
La fin du coaching approche à grands pas et L. craint de ne pas permettre à sa cliente d’atteindre les objectifs fixés avec son patron, le DG historique de l’entreprise. Elle m’expose sa demande : que se passe-t-il et comment débloquer cet accompagnement ?

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Comme L., de nombreux coachs pratiquent à la fois le coaching personnel (avec des particuliers, désireux de travailler sur l’ensemble des composantes de leur vie) et le coaching en entreprise (avec des personnes, managers le plus souvent, dont les objectifs se rapportent à des enjeux professionnels).

Je souhaite revenir ici sur les différences entre les deux et souligner les spécificités de l’Executive coaching. Car s’il entre évidemment tout un pan de développement de la personne elle-même dans ce type de missions, elles comportent aussi des enjeux techniques bien spécifiques, et renvoient à des pistes de professionnalisation particulières pour les coachs.

En effet, le coaching de professionnels, axé sur des problématiques relatives au travail, implique une exploration en profondeur de notions qui ne sont pas toujours présentes (voire souvent absentes) dans les coachings de particuliers (sauf quand ceux-ci ont une demande centrée sur leur propre rapport au travail). Voici un rapide survol des cinq dimensions me semblant les plus importantes.

1 La dimension institutionnelle

Lorsque nous accompagnons des personnes en tant que professionnels, nous devons diffuser dans ce travail certaines notions fondamentales, relatives au fait que leur action et leurs difficultés se déploient au sein d’une institution. C’est-à-dire d’un système singulier doté d’une personnalité morale, définie indépendamment d’eux, par son objet social et son organisation. Pour cela, il revient au coach d’être au clair sur certains concepts-clés et de savoir les mobiliser avec à-propos, afin d’enrichir la réflexion du coaché sur son inscription dans son contexte et de lui ouvrir de nouvelles options d’action.

Le rôle et la fonction

Rappelons que la personne est liée à l’institution par un contrat de travail, lequel l’oblige à certaines actions en échange de sa rémunération. Un rôle lui est attribué, qui la précède et lui survit le plus souvent. Cette fonction s’intègre dans une distribution globale des rôles et implique des attendus : en termes de niveau d’autonomie et de responsabilité, mais aussi d’engagement requis, d’objectifs et de performance…

De ce point de vue, nous pourrons explorer avec L. la question suivante : Édith a-telle bien perçu ce qui est attendu d’elle dans sa nouvelle fonction ? A-t-elle bien intégré la différence avec ce qui avait fondé sa réussite dans son précédent poste de responsable d’une unité au sein de cette même direction ?

Le titre

Le titre est, théoriquement, relatif à la fonction occupée, mais on observe parfois des bizarreries, souvent signifiantes. Dans tel CODIR, par exemple, tous les participants ont le titre de Directeurs, sauf un (ou une !), qui doit se contenter d’un titre de « Chief Officer » en ceci ou cela : Happyness ou Impact, par exemple… Cet écart de grade – et de langue – indique que son pouvoir n’est pas le même que celui de ses collègues.

Dans le cas de Édith, L. découvre qu’il s’agit d’autre chose : dans la nomenclature interne des managers, tous les membres du COMEX sont en classe 7 et elle n’est qu’en classe 6… Avec l’écart de rémunération afférent, bien sûr. De plus, Édith n’est pas installée dans le même immeuble que le reste du staff, mais dans une annexe, en attendant qu’une place se libère dans le bâtiment principal…

2 La dimension organisationnelle

Les entreprises (comme les associations) mettent en place des systèmes organisationnels qui définissent les relations entre les différentes fonctions créées et la façon dont elles interagissent au bénéfice du processus de production du bien ou du service.

Le fait hiérarchique et la subordination

Le principal aspect à souligner de ce point de vue est la dissymétrie des positions tout au long de la « ligne hiérarchique » et le positionnement de chacun dans une relation non paritaire avec son responsable hiérarchique. Cette relation, régie par un devoir de subordination, suppose que l’un peut donner des ordres ou des consignes à l’autre, mais sans réciprocité. La conséquence de cette asymétrie tient dans une autre obligation : la loyauté vis-à-vis de sa hiérarchie. Il n’est pas rare que certains tiraillements se fassent jour entre la loyauté due au.x chef.s et celle éprouvée envers les collègues ou les équipiers.

Sur ce plan, je questionne L. : comment Édith se positionne-t-elle vis-à-vis de ses anciens collègues, chefs de service, devenus ses pairs ? Comment se passe sa relation avec son nouveau patron, le DG et comment peut-elle mieux cerner ce qu’il attend d’elle, implicitement ?

Les jeux d’acteurs

Toutefois, le pouvoir effectif dans l’organisation des différents acteurs du système n’est pas uniquement déduit de leur position officielle, de leur titre et de leur fonction. Ainsi, certaines personnes obtiennent un pouvoir plus important, soit en raison d’une place stratégique dans les processus (exemple : les conducteurs de train ou de bus dans les réseaux de transports des grandes villes), soit en raison d’une expertise rare, ou encore d’une appartenance à un réseau (grande école, club, parti politique…).

Sur ce plan, l’exploration de la situation d’Édith avec L. révèle que le collaborateur posant le plus de problème, en contestant son autorité et ses décisions, est le seul à connaitre l’application en cours de développement pour consolider tous les reportings de l’entreprise. Or, la livraison prochaine de cette application est vitale pour l’entreprise et stratégique pour la direction financière. C’est la raison pour laquelle le DG veut suivre en personne ce projet SI et traite directement ce dossier avec le cadre en question, son N-2, « by-passant » régulièrement Édith…

L’action collective et l’intégration dans un processus de travail

Sans crainte de lapalissade, on peut affirmer que travailler dans une organisation, c’est travailler pour d’autres, parmi d’autres et avec d’autres. Mais précisons-le : cette coopération ne se pratique pas par affinité. Le rôle assigné à chacun est défini de façon relative par rapport à celui des autres, et lui impose de collaborer avec les titulaires d’autres fonctions mobilisées dans le processus de production. Dès lors, chacun est légitime à agir sur un certain périmètre mais pas au-delà et doit, de ce fait, démontrer sa capacité à prendre sa place dans des processus, qui le rendent dépendant des collègues œuvrant en amont et responsable de ses inputs envers ceux situés en aval.

La prise en compte de ces dimensions dans l’accompagnement du coaché conduit souvent à explorer avec grand profit son rapport à l’autorité, son besoin de contrôle, ses modalités interactionnelles et sa capacité à développer son influence, avec tact et diplomatie.

Dans le cas évoqué, L. a d’ailleurs spontanément bien investi cette zone de travail, avec sa cliente, Édith. Mais ce n’est pas suffisant.

3 La dimension culturelle

Le mille-feuille des cultures

Un décodage socioculturel est souvent nécessaire pour permettre au coaché de comprendre les modes de fonctionnement de cet ensemble humain et pouvoir atteindre les objectifs du coaching. Or, les codes culturels qui régissent les organisations sont souvent implicites (ni écrits, ni exprimés, ni même parfois conscientisés). Ils doivent être déduits des usages constatés. Ce décodage peut porter tout à la fois sur la culture d’entreprise et la culture métier, mais aussi sur la culture managériale qui prévaut dans l’entité d’appartenance du coaché.

Dans le cas d’Édith, L. prend conscience que cette dernière connait très bien la culture de l’entreprise, tout comme celle de sa ligne métier, la finance, mais qu’elle ignore tout de la « culture » spécifique qui règne au sein du COMEX. A chaque participation à une réunion de cette équipe, elle ressort démoralisée, avec l’impression de n’avoir rien compris aux interactions auxquelles elle a assisté, incrédule. Comment l’aider à saisir les codes sous-jacents à ces attitudes, qui n’ont pas (encore) de sens à ses yeux ?

La langue

Ces éléments culturels ont souvent un très fort impact sur le vocabulaire employé dans l’entité. On pourrait presque dire que chaque organisme a sa propre langue. Parler cette langue plus ou moins bien est un véritable indicateur d’intégration pour le coaché. Le coach devra quant à lui être attentif à la façon dont se formulent les choses dans chaque organisation, comme à la zone de non-dit qui apparaît autour de ce qui est exprimé.

Dans le cas d’Edith, L. a formulé une hypothèse, mais elle ne sait pas comment s’en servir : Edith a un discours très technique, alors que la DG est un homme de terrain, passionné par le métier du transport, et aimant le contact direct avec les équipes. Il « descend » très souvent discuter avec les chauffeurs. Comment exploiter cette information au service des objectifs du coaching ?

4 La dimension stratégique

Cette dimension est présente avec les dirigeants dont la fonction suppose qu’ils prennent des décisions structurantes pour le futur de l’entreprise, indépendamment de leur propre projection dans cette entité et de leurs envies ou aspirations personnelles. Cela impose un travail de vision, de scénarisation, mais aussi d’influence et de recherche de relais d’opinion en interne.

Le problème d’Édith est qu’elle ne parvient pas à convaincre son patron, le DG, de la pertinence de ses vues sur la refonte de la stratégie financière de l’entreprise, qui lui semble trop marquée par une approche de « bon père de famille », prudente mais finalement dangereuse pour l’entreprise. Le directeur des opérations, notamment, fait un travail de sape auprès du DG pour le faire revenir en arrière, à chaque fois d’Édith a obtenu une ouverture par rapport à ses propositions. Édith perd confiance et se décourage. Comment L. peut-elle l’aider à changer de tactique pour obtenir de meilleurs résultats ?

5 La dimension du leadership

Cette dernière dimension est très importante qui relève de la capacité à « embarquer » les autres, au-delà de la notion de subordination. Pour les managers, elle désigne une aptitude à donner envie, à fédérer et à mobiliser les équipes au service des objectifs et orientations définis, en les engageant dans l’action, par-delà ce que leur poste impose. Dans les services notamment, cette notion est décisive car elle permet de comprendre des écarts de performance collective notables entre différentes entités également dotées en ressources.

C’est la dimension la plus proche de la connaissance de soi et du développement personnel qui sont au cœur du coaching de particuliers.

Pour Édith, il s’agit de passer un cap de confiance en elle en s’emparant pleinement de sa fonction. Cela l’amène à identifier avec L. des freins liés à son histoire personnelle de fille dans une fratrie de garçons et de sa difficulté à se faire entendre, parmi eux. L. peut continuer à aider Édith à traquer les croyances limitantes, à valoriser toutes les compétences qui justifient qu’elle occupe sa fonction aujourd’hui, et à recenser toutes les ressources qu’elle peut mobiliser pour s’affirmer intelligemment vis-à-vis de ses équipiers. Ici, la première à convaincre est Édith elle-même pour incarner une posture de leader, et non plus d‘expert.

La supervision des Executive coachs

Accompagner des managers ou dirigeants sans tenir compte de ces dimensions propres à la vie des organisations comporte un risque important pour les executive coachs car cela revient à passer à côté d’aspects de la problématique du coaché fondamentaux pour sa réussite… et celle du coaching. Un des enjeux de la supervision des executive coachs consiste donc à les soutenir dans leur professionnalisation sur ce registre.

Mobiliser les bonnes grilles de lecture

On le voit, les coachs doivent être au clair sur les modes de fonctionnement des organisations. Pour cela, il est nécessaire d’acquérir des savoirs en sociologie ou théorie des organisations, afin de pouvoir aider leurs clients à mieux naviguer dans cette complexité et à tenir compte des éléments qui structurent les relations entre les professionnels avec lesquels il travaille, au-delà des éléments strictement interactionnels. C’est une condition requise pour que le coaché élabore des tactiques nouvelles et pertinentes pour atteindre ses objectifs.

Dans le travail de supervision régulière, je crois indispensable d’apporter une attention soutenue aux grilles de lecture mobilisées par les coachs pour accompagner leurs clients dans leur rapport à leur travail et à leur impact professionnel. Et il m’apparait que la prise en compte de cette complexité fait émerger, dans l’espace de la supervision, des enjeux qui vont bien au-delà du seul travail sur le contre-transfert du coach, sur ses propres points aveugles dans la relation avec son client, et excèdent aussi l’exploration (fort utile au demeurant) des caractéristiques intrapsychiques du coaché.

Mener l’enquête ensemble

La supervision des executive coachs présente une spécificité de taille : elle doit inclure le repérage des méconnaissances et des angles morts du coach sur les enjeux de l’accompagnement de professionnels dans les organisations, et favoriser une réflexion sur les stratégies et tactiques d’intervention les plus adaptées pour permettre au coaché d’effectuer des prises de conscience sur sa situation et, dès lors, faire son chemin au sein des organisations.

Cela repose sur un travail exploratoire minutieux, sorte d’enquête, que coach et superviseur conduisent ensemble, traquant sans relâche les leviers décisifs à activer au bénéfice de la réussite du coaching et du développement du coach.